(Re)penser notre coexistence avec la nature
Interview d’Annik Schnitzler, naturaliste et spécialiste de l’écologie forestière
Naturaliste et spécialiste de l’écologie forestière, Annik Schnitzler est professeur retraitée de l’Université de Lorraine. Convaincue qu’il est important de connaître les forêts, leur biodiversité et leurs liens avec les êtres humains pour mieux les préserver, elle partage son temps entre l’observation sur le terrain, l’écriture et la participation à divers organismes de protection de la nature.
D’où vient votre formidable attachement à la forêt ?
Il vient tout droit de mon enfance. À l’âge de dix ans, dans les Vosges, j’allais déjà me promener seule en forêt, enfin pas tout à fait seule, car mes parents exigeaient que mon chien m’accompagne. Je me serais bien passée de lui, car je n’avais absolument pas peur et qu’il faisait parfois fuir les animaux que je voulais observer ! J’aime toujours énormément arpenter les forêts en solitaire, à mon rythme, même si j’apprécie aussi d’y aller à plusieurs, notamment avec des naturalistes avec lesquels je peux échanger.
Vous avez étudié différentes disciplines avant de vous consacrer à l’écologie forestière…
J’ai en effet un parcours éclectique (pharmacie, géographie, biologie, écologie, sans parler de mes études musicales ni de mon goût pour l’archéologie et l’histoire !). Cela m’a permis d’élargir mes connaissances et d’aborder les problématiques forestières dans leur ensemble. S’intéresser aux forêts, pousse à prendre en compte de nombreuses formes de vie et leurs interactions permanentes, c’est la raison pour laquelle l’écologie forestière fait appel à de multiples compétences en chimie, biologie, éthologie, zoologie, etc.
Quels sont vos sujets d’étude actuellement ?
Je m’intéresse de près aux forêts des Vosges en variant les approches. Je me suis par exemple penchée sur les vertus de l’ensauvagement face aux changements climatiques, en m’appuyant sur les forêts du pays de Bitche en Moselle. J’ai étudié les forêts à haute naturalité des cirques glaciaires des hautes Vosges, ou encore la richesse des polémoforêts, c’est-à-dire des forêts spontanées qui se sont développées sur d’anciennes zones de combats de la Grande Guerre laissées en libre évolution pour des raisons de sécurité et de mémoire.
Est-il possible selon vous de conjuguer démarche scientifique et militantisme ?
Je ne me définis pas comme une militante active de la protection de la nature même si je reconnais que mon discours peut avoir des accents militants ! Mes connaissances en écologie forestière et mes voyages dans de nombreuses régions du monde me permettent de porter un regard éclairé sur certains sujets et de le partager. C’est la raison pour laquelle je publie régulièrement des articles sur le site Internet histoiresdeforets.com, j’écris des livres et je participe au conseil scientifique de nombreux organismes comme l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire.
Le partage des connaissances vous tient visiblement à cœur…
Oui ! Il me semble essentiel de donner au plus grand nombre – dès le plus jeune âge – les moyens de comprendre les enjeux liés à la préservation du vivant en les informant. C’est comme cela que nous pourrons (re)penser notre coexistence avec la nature. Je pense en effet que nous pouvons partager l’espace commun et accepter de laisser en paix la forêt. Comment ? En adoptant, par exemple, des pratiques sylvicoles plus vertueuses et en cessant de considérer les animaux de la forêt comme de dangereux nuisibles ou du gibier.