Repenser la gestion forestière pour tendre vers la libre évolution
Interview de Gilbert David, vice-président de la LPO Drôme-Ardèche
Vice-président de la LPO Drôme-Ardèche, dont il est membre actif depuis plus de 45 ans, Gilbert David est un expert et un passionné de la forêt. Aujourd’hui retraité de l’ONF, il continue d’aller chaque jour y marcher, comme il l’a fait durant toute sa carrière de garde-forestier. Pour cet ardent défenseur de la nature et de la biodiversité, il est essentiel de repenser la gestion forestière en prenant en compte la libre évolution.
Qu’est-ce qu’une forêt en libre évolution ?
Il s’agit d’un mode de gestion sans intervention humaine qui laisse libre cours aux dynamiques du vivant. La forêt était là bien avant nous, elle peut se débrouiller toute seule ! Même lorsqu’elle est exploitée de la meilleure manière, une forêt cultivée est moins résiliente qu’une forêt en libre évolution. Lorsque l’on prélève du bois, il manque à l’écosystème, car il ne nourrira pas toutes les espèces de champignons, d’insectes et de bactéries. Le cycle naturel complet est amputé et cela crée un certain déséquilibre.
Pourquoi est-ce essentiel de favoriser la libre évolution ?
Les forêts assurent des fonctions écologiques fondamentales. Elles fixent le carbone, elles produisent de l’oxygène en grande quantité, elles purifient l’air, les sols et l’eau. Elles limitent l’érosion des sols et régulent les inondations, les tempêtes et les écarts extrêmes de température. Elles fixent les polluants et empêchent la migration des pesticides vers les rivières. Elles abritent, enfin, plus des trois quarts de la biodiversité terrestre ! En ne « touchant » pas aux forêts, on préserve donc bien mieux toutes ces fonctions essentielles à la vie.
Une forêt laissée en libre évolution conserve ses vieux arbres. Les îlots de sénescence jouent un rôle majeur, car ils accueillent 25 % de la diversité biologique forestière et permettent un stockage du carbone dans le sol pendant 500 ans, voire beaucoup plus.
Comment concilier la libre évolution et le maintien des activités humaines liées à la forêt ?
Il est évident que les humains, eux, ont besoin de la forêt et notamment du bois qu’elle fournit. S’il est impensable de renoncer à l’exploitation, il est possible en revanche de revoir notre approche de la gestion forestière.
Laisser 10 à 20 % de la superficie des forêts en libre évolution ne remet pas en cause la filière bois et cela permet de sauvegarder la richesse de l’écosystème forestier. Il ne s’agit pas d’une mise sous cloche, mais d’une remise en liberté, porteuse d’avenir pour le vivant au sens large.
Il est aussi indispensable d’exploiter la forêt de la manière la moins traumatisante possible sans coupes rases, sans produits chimiques ni engrais et en laissant la litière sur place. En matière de plantation, il est vital de renoncer au peuplement monospécifique et de favoriser la futaie irrégulière où cohabitent des arbres d’essences et d’âges variés.
Quel message voudriez-vous partager en guise de conclusion ?
Je voudrais citer Robert Hainard, un grand naturaliste suisse qui écrivait dans les années 1960 : « Un jour viendra, et plus tôt qu’on ne le pense, où l’on mesurera le degré d’une civilisation non pas à ce qu’elle aura pris à la nature, mais à ce qu’elle lui aura laissé ou rendu. »
Photographies par Franck Vogel, exposition Moi, la forêt #2.
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