Respecter le temps de la forêt !
Interview de Michel Blanchet, membre de France Nature Environnement PACA
Après avoir enseigné puis créé et animé un site de séjour alternatif au cœur des Hautes-Alpes, Michel Blanchet a travaillé 25 ans comme attaché scientifique du Parc naturel régional du Queyras. Aujourd’hui retraité, il est très engagé au sein de France Nature Environnement pour la région PACA, siège à la Commission régionale de la forêt et du bois, et s’implique dans la planification écologique en cours. Malgré un agenda bien rempli, il veille à se ressourcer au cœur des vieilles forêts de montagne.
Bien que votre parcours soit éclectique, il semble suivre un fil rouge, voire un fil vert ! D’où vient votre passion pour la nature ?
Je crois que suis devenu naturaliste à l’âge de 7 ans alors que j’étais citadin ! Mon grand-père était jardinier en chef du parc de la Légion d’Honneur à Saint-Denis, un immense havre de nature aux portes de Paris, et c’est là que j’ai découvert ma vocation ! Ma première passion a été l’entomologie, mais j’ai rapidement exploré d’autres domaines et pris conscience que le vivant était un tout ! Aujourd’hui, je m’efforce de partager mes connaissances et mes convictions pour préserver la nature et tout particulièrement la forêt.
Quelle est votre vision de la gestion forestière ?
Je défends avec force le respect du temps de la forêt qui se compte en siècles, a contrario de la vie économique et politique qui s’inscrivent généralement dans le présent ou le court terme. La forêt est au cœur d’injonctions contradictoires. On entend partout que c’est un réservoir de biodiversité, un puits de carbone vital et, dans le même temps, on cherche plus que jamais à augmenter la récolte de bois, y compris pour en faire du carburant pour les avions !
La gestion forestière doit se penser dans le temps long en intégrant les nouvelles contraintes liées aux effets du changement climatique. Une forêt, c’est une communauté vivante ! Sa richesse et les services qu’elle nous rend tiennent à l’incroyable diversité de ses espèces et des relations qui les animent. Planter des arbres ne suffira jamais, il faut aussi veiller à la régénération naturelle et au retour de toute la diversité du vivant.
Vous défendez avec ardeur les vieux arbres et le bois mort, pourquoi ?
On appelle arbres anciens ceux qui ont dépassé « l’âge optimal d’exploitation », c’est-à-dire le moment où on les coupe avant que la qualité du tronc ne s’altère. Les arbres anciens et les arbres morts, sur pied ou au sol, sont très précieux, car ils abritent des milliers d’espèces d’animaux, de champignons, de mousses et autres lichens contribuant au bon fonctionnement de l’écosystème. Ainsi 40 % des oiseaux forestiers ont besoin des cavités de ces « arbres habitats » pour nicher !
Il est donc primordial de conserver ces arbres habitats, mais aussi de constituer un réseau d’îlots abandonnés au cycle naturel complet du vieillissement, de la sénescence, de la mort et de la régénération. Ces îlots doivent être suffisamment proches pour assurer une continuité écologique. L’ONF et FNE travaillent déjà sur ces « trames vieux bois », dont le principe est identique à celui des trames vertes et bleues, ces corridors qui favorisent les déplacements des espèces terrestres et aquatiques entre des réservoirs de biodiversité.
Pour finir, quel message souhaiteriez-vous partager ?
Que la nature et particulièrement les forêts sauvages évoquant un état originel sont aussi des lieux de ressourcement exceptionnels pour le corps comme pour l’esprit ! Il me semble indispensable d’y conduire les enfants pour qu’ils prennent conscience in situ de leur appartenance au vivant !
L’immersion dans les vieilles forêts convoque tous nos sens et éveille l’esprit. On peut y ressentir des émotions très fortes. Certains y sont même traversés par ce que l’on appelle le « sentiment océanique », un moment fulgurant de plénitude où l’on a la sensation de faire corps avec le tout, comme si les frontières entre soi et le monde disparaissaient.
De tels instants sont rares, mais j’invite chacune et chacun à oser l’immersion. Asseyez-vous là où la forêt vous y invite et fermez les yeux. Respirez posément, profondément, écoutez, détaillez chaque note de la musique du monde et laissez-vous gagner par la forêt !