Arbres et haies : nos alliés pour une agriculture fertile du sol au paysage
Interview de Ronan et Dimitri, cogérants agroforestiers de la Ferme du Bigna
Dans les Côtes-d’Armor (22), Ronan Rocaboy et Dimitri Guérin conduisent la Ferme du Bigna, une exploitation bio qui produit et commercialise en circuits courts des porcs et des volailles élevés en plein air. Six ans après s’être lancés dans l’agroforesterie, ils partagent leur expérience et leurs projets.
Expliquez-nous d’abord en quoi consiste l’agroforesterie ?
Ronan // Le terme anglais est né à la fin des années 1970, mais la pratique est en réalité très ancienne. L’agroforesterie, c’est l’association d’arbres et de culture ou d’animaux d’élevage dans un même système de production agricole. Les arbres peuvent se trouver dans la parcelle et l’on parle alors d’agroforesterie intra parcellaire, ou bien en périphérie avec, par exemple, des haies bocagères.
Quels sont les bénéfices de cette pratique ?
Ronan // Bien menée, l’agroforesterie est un choix gagnant pour l’agriculteur, pour le territoire et pour l’environnement. Un exploitant ne choisit pas une pratique agroécologique pour le plaisir, il faut que ça lui rapporte quelque chose. Pour nous, la valorisation du bois en bois-énergie, en litière et en paillage est essentielle, car elle s’inscrit dans notre stratégie d’autonomie alimentaire et énergétique. Transformé en plaquettes, le bois alimente la chaudière collective de la ferme dont sept maisons de notre hameau bénéficient.
Dimitri // L’agroforesterie est un atout clé pour améliorer la fertilité naturelle des sols. La diversification et la rotation des cultures conjuguées à la présence d’arbres et de haies permettent en effet d’absorber davantage de lumière, d’amplifier la photosynthèse et d’enrichir le sol en matière organique. Sur le plan environnemental, l’agroforesterie répond à de multiples besoins. Les arbres captent et séquestrent du carbone, régulent le cycle de l’eau, filtrent les pollutions et favorise la sauvegarde de la biodiversité dans l’espace et dans le temps.
Comment la Ferme du Bigna est-elle passée à l’agroforesterie ?
Ronan // Dimitri a fait des études de sciences économiques et moi j’ai une formation dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, où je travaille toujours d’ailleurs, car je suis un double actif. Nous avons repris la ferme de mes parents en 2017 sans vrai bagage en agronomie, on a dû apprendre beaucoup de choses par nous-mêmes et grâce aux personnes que nous avons rencontrées. Le projet agroforestier a démarré après avoir fait la connaissance de Fabien Balaguer qui dirige l’Association française d’agroforesterie (AFA). Nous étions motivés, mais persuadés qu’il fallait nous entourer de gens compétents si on voulait que ça marche. Pour monter notre projet, nous nous sommes donc fait accompagner par Stéphane Sachet un conseiller en agroforesterie.
Dimitri // La plantation a été pensée de manière à ce que les arbres ne gênent pas les travaux des champs puisque nous nourrissons les animaux exclusivement avec notre production. Nous avons planté 600 arbres sur 12 hectares en 2018. L’opération a été réalisée grâce à un GPS au centimètre près ! Six ans après, on se dit qu’on aurait aussi pu mettre des plantes mellifères pour tenir les bandes enherbées. On le fera plus tard ! Nous avons d’ailleurs le projet de poursuivre les plantations de haies et d’arbres dans les parcelles, mais pas forcément partout. L’agroforesterie intra parcellaire est intéressante pour nos cochons puisque les arbres leur fournissent de l’ombre et des fruits (noix, glands…). Ces décisions sont importantes, car le paysage se façonne dans le temps long. Quand on plante des arbres ou des bosquets, il faut aussi se demander si, dans vingt ou trente ans, ce couvert végétal ne compliquera pas le travail agricole.
Quel bilan faites-vous de ces premières années en agroforesterie ?
Dimitri // Nous sommes satisfaits puisque nous avons atteint nos objectifs, à savoir : valoriser les ressources en bois (chauffage du hameau et paillage) et éviter l’export de carbone ; améliorer nos performances agronomiques ; favoriser la biodiversité et mettre en place un outil économiquement viable.
Ronan // L’agroforesterie est le levier d’autonomie de notre ferme. C’est un choix qui a du sens à tous points de vue. Au Bigna, c’est la nature qui commande, mais nous voulons que ce soit gagnant-gagnant, je veux dire par là que nous cherchons à faire preuve de pragmatisme et à optimiser notre travail. Prenons un exemple, nous faisons appel à un prestataire pour broyer le bois. Cela a un coût bien entendu, mais c’est du temps de travail en moins pour nous et la garantie d’avoir de la plaquette d’excellente qualité pour alimenter notre chaudière collective. Aujourd’hui, la ferme tourne bien. Nous exploitons 40 hectares de cultures et 20 hectares de prés, prairies et parcours pour nos animaux et nous produisons en moyenne 300 poulets et quatre cochons par mois. La résilience par l’interdépendance du sol, des arbres, des plantes et de la biodiversité en général est la base de notre système.