Pourquoi la trogne est-elle l’arbre de la modernité ?
La taille des arbres en trogne est une pratique paysanne ancestrale que l’homme a délaissée il y a environ un siècle avec l’arrivée des énergies fossiles (charbon, pétrole…), la mécanisation de l’agriculture, l’exode rural… Véritables couteaux suisses de l’agroforesterie, les trognes, souvent appelées têtards, reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène.
Ces arbres qui prennent la grosse tête
« La trogne ne désigne pas une essence, mais le résultat d’une technique d’exploitation particulière. Celle-ci consiste à étêter un jeune arbre ou ses branches maîtresses (à une hauteur généralement comprise entre 2 et 3 mètres) puis à récolter régulièrement les rejets qui surgissent après chaque émondage suite au réveil des bourgeons dormants. Elle se pratique majoritairement sur les feuillus », explique Dominique Mansion. Artiste plasticien, auteur et illustrateur, ce naturaliste est, à ce jour, l’un des plus grands spécialistes français des trognes.
Loin de mutiler les arbres, l’étrognage favorise la production de nouveaux rameaux et stimule leur croissance. La réduction régulière de l’ampleur de l’arbre le rend moins vulnérable aux aléas climatiques et facilite son insertion dans l’espace agricole. « Cette pratique tisse un lien fort entre la nature et l’être humain, souligne le naturaliste. C’est un acte de confiance envers le végétal qui repartira de plus belle, une fois taillé. Beaucoup d’arbres remarquables en France sont des trognes, et certaines ont plus de mille ans. »
Un patrimoine précieux
La trogne produit beaucoup plus de bois et de biomasse qu’un arbre ordinaire. Aujourd’hui grâce au broyage, les rejets peuvent être valorisés en litière pour le bétail, bois énergie (plaquettes pour les chaudières individuelles et collectives), paillis pour les plantations…, sans compter la récolte de fourrage.
Depuis quelques années, les trognes suscitent beaucoup d’intérêt auprès des agriculteurs qui veulent retrouver un cercle vertueux d’autonomie. Les usages ne concernent pas seulement l’agriculture puisque les ressources ligneuses peuvent aussi être utilisées en ville pour les espaces verts et comme matériau pour la construction et l’isolation.
Des réservoirs de biodiversité
Écosystèmes à part entière, les trognes sont de véritables refuges de biodiversité. Comme les haies, elles sont essentielles à la vitalité des corridors écologiques. En effet, en vieillissant, les trognes se creusent et les cavités de leur tronc offrent le gite et le couvert à de nombreuses espèces rares et menacées : oiseaux (passereaux, rapaces), mammifères (chauve-souris, écureuil, loir…), batraciens. Sans oublier les insectes et autres invertébrés auxiliaires qui s’installent volontiers dans ces vieux arbres. Le terreau des cavités et le vieillissement du tronc favorisent également la flore herbacée et ligneuse, les mousses, les lichens et une multitude de champignons.
Les arbres trognés fournissent enfin des services agroécologiques très bénéfiques à l’équilibre et la fertilité des sols. Ils contribuent aussi au stockage de carbone. En effet, grâce au renouvellement cyclique de leur houppier, les trognes offrent de grandes capacités de stockage du carbone émis par les activités humaines. « Enracinés dans le temps les trognes sont des arbres de la modernité ! Leur polyvalence permet de couvrir des besoins économiques, écologiques et esthétiques en répondant aux enjeux climatiques, conclut Dominique Mansion. Il nous faut retrouver le savoir-faire d’antan, l’adapter aux technologies et aux outils d’aujourd’hui pour protéger et valoriser les trognes existantes et en créer de nouvelles. »