Accompagner l’adaptation des écosystèmes forestiers aux changements climatiques

Interview d’Hervé Le Bouler, conseiller scientifique de l’Institut de France pour la forêt du château de Chantilly

Forestier et écrivain, Hervé Le Bouler est un spécialiste des ressources génétiques des forêts qui a consacré près de quatre décennies à la recherche au sein du Conservatoire national de la biodiversité forestière, de l’ONF et des instituts forestiers. Aujourd’hui, il est conseiller scientifique de l’Institut de France pour la forêt du château de Chantilly.

Vous aimez vous présenter comme « un forestier des chemins de traverse », qu’est-ce que cela signifie ?

De manière générale, j’aime l’idée qu’il faut oser prendre d’autres voies que celles qu’on emprunte par habitude et expérimenter de nouvelles pratiques. Face à l’impact des changements climatiques sur les forêts, je pense qu’il faut se jeter à corps perdu dans la recherche de solutions. Le caractère inéluctable des évolutions en cours nous oblige à repenser notre vision de la forêt et à réinventer le métier de forestier.

© Mathieu Génon / Reporterre.net

Comment va la forêt française ?

On ne peut pas parler de « la » forêt, car les situations sont diverses d’une région à l’autre. Et je précise que mes connaissances se limitent aux espaces forestiers métropolitains et à ceux de nos voisins européens. Incendies, sécheresses, tempêtes, champignons (comme la chalarose du frêne) et insectes ravageurs (comme le scolyte de l’épicéa) provoquent une succession de crises qui conduisent à un dépérissement à grande échelle des espaces forestiers.
Pour en revenir à la carte de France, les forêts de Bretagne, du Pays basque et des côtes de la Manche sont assez préservées, car il y pleut suffisamment et que l’augmentation des températures ne met pas en péril les arbres. En revanche, les forêts du Bassin parisien, celles de la vallée de la Loire et celles qui s’étendent entre la Loire et la Garonne sont en difficulté. Dans ces régions, les chênes et les hêtres sont en passe de disparaître des paysages…

© Micheline Copeaux

Dans votre livre Forêts, des racines et des hommes, vous évoquez  la fin de la stabilité climatique…

Il y a une vingtaine d’années, on déplorait des accidents climatiques isolés, mais, aujourd’hui, c’est autre chose : la crise est systémique. L’évolution des climats est en cause puisque la niche climatique des arbres est déterminée par des facteurs tels que la température, l’humidité et les précipitations, qui influencent leur distribution géographique. Les arbres ne pouvant se déplacer, ils dépérissent lorsque leur niche n’est plus respectée, car il fait trop chaud ou que l’eau manque. En théorie, les espèces « suivent » leur niche, mais l’évolution climatique est actuellement dix fois trop rapide pour que cela soit possible.

© Micheline Copeaux

Est-ce ce phénomène que l’on observe dans la forêt du château de Chantilly ?

Le dépérissement massif du chêne pédonculé, l’essence historiquement dominante du domaine de Chantilly, illustre en effet ce phénomène. Avec un réchauffement de + 2 °C, l’essence sort de sa niche climatique et dépérit. Chantilly constitue un cas d’école, car il s’agit d’une forêt très ancienne dont l’histoire est documentée avec précision depuis près de 500 ans. Les données climatiques conservées ont permis d’investiguer les relations entre arbres et climat au fil des époques. Leur analyse a permis de comprendre que le dépérissement de cette illustre chênaie était corrélé à la montée rapide et brutale des températures à partir de 1990, mais d’autres facteurs comme le grand âge des arbres s’y rajoutent. Depuis 2020, le collectif « Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly » réunit forestiers, élus, scientifiques, entreprises et citoyens pour réfléchir et agir ensemble. La méthode de travail adoptée pourrait être utilisée ailleurs bien entendu.

© Micheline Copeaux

Quels sont les points clés de cette démarche ?

Avant tout, il convient d’établir un diagnostic complet et approfondi de l’état d’une forêt. À Chantilly, ce travail a pris quatre ans, il sera présenté au printemps. Le deuxième point clé est simple : il faut renoncer aux grandes coupes radicales pour laisser en place les arbres vivants. C’est essentiel, car ces survivants sauront peut-être s’adapter à leur environnement et transmettre cette résistance à leurs descendants.
Là où les coupes ont été nécessaires, il faut reboiser, mais pas n’importe comment ! La migration assistée consiste à planter des essences adaptées à un climat plus chaud. C’est une pratique qui permet d’accélérer l’adaptation de l’écosystème forestier aux contextes nouveaux. Il est toutefois impératif de s’assurer que l’introduction de ces espèces ne sèmera pas le désordre dans l’écosystème local. À Chantilly, seront ainsi plantés des pins d’Alep, des pins maritimes ainsi que différentes espèces de chênes (zeens, verts, pubescent, lièges).
Enfin, pour favoriser la régénération, les noyaux de colonisation me semblent une solution porteuse d’avenir. Il s’agit de planter une centaine d’arbres de deux espèces qui cohabitent harmonieusement. Vingt ans plus tard, grâce aux graines produites, les arbres pourront couvrir trois hectares. Facile à mettre en œuvre sur plusieurs sites en même temps, cette technique permet aussi aux citoyens de participer à sauvegarder une forêt en apportant leur contribution financière et/ou leur aide pour les plantations.

A lire : Forêts – Des racines et des hommes, Hervé Le Bouler, Delachaux et Niestlé, 2022

© Micheline Copeaux